Bògòlan et indigo : tissus iconiques en Afrique de l’Ouest
Quand l’on parle de tissus fabriqués par les artisans en Afrique de l’Ouest, le bògòlan et l’indigo figurent inéluctablement en bonne place.
En fait, chacune de ces dénominations découle du mode de teinture utilisé pour donner une identité au tissu.
Le bògòlan
Le mot bògòlan vient du bambara : BÒGÒ = argile, boue et LAN = avec, fait de. La technique du bògòlan traditionnel est pratiquée par plusieurs groupes ethniques de l’aire culturelle mandingue : les Dogon, les Senoufo, les Malinké et les Bambara.
La première étape de fabrication consiste à faire tremper les pièces de tissus dans une préparation à base de feuilles et d’écorce. Celle-ci leur donne une première teinte jaune- orangé et du fait de son acidité permettra à la teinture de mieux se fixer. Une fois séchées, les pièces sont prêtes à recevoir la teinture à la boue, une boue devenue pâte noire après fermentation. De petits bâtons de bambou, des couteaux, des brosses à dents ou des spatules plates en métal de différentes largeurs sont utilisés pour dessiner avec cette pâte, à main levée, le tracé du décor. Selon la complexité du décor, ce travail minutieux peut nécessiter plusieurs semaines. Le motif décoratif le plus important n’est pas teint, mais plutôt laissé en réserve, lorsqu’on veut produire un bògòlan de qualité supérieure. Ensuite, le tissu est mis à sécher au soleil jusqu’au craquèlement de la pâte. Il est alors lavé, révélant des tons noir et jaune orangé. L’étape ultime consiste à appliquer un liquide à base de soude ou d’eau de javel sur les surfaces jaune-orangé afin de les blanchir. Les motifs obtenus grâce à l’application de cette technique de teinture rivalisent de somptuosité, quel que soit ce qu’ils figurent.
Au-delà de la technique de fabrication, ce sont surtout les motifs qui décorent ce textile qui font sa valeur, même si bon nombre de personnes qui portent des boubous bògòlan ignorent les sens des signes qu’ils arborent. Les informations recueillies et les sources bibliographiques permettent de dire que ces motifs évoquent des événements historiques importants, magnifient des qualités humaines, prodiguent des conseils à la société, etc. « Une des constantes de l’art du bògòlan est justement la représentation d’empreintes, pour la plupart des stylisations de celles de l’homme ou de l’animal », affirme Pauline Duponchel. Comme on peut le constater en examinant de près ce textile, les signes, de véritables idéogrammes, sont divers. En voici un exemple :
• Sungurun sen kelen (la jeune fille unijambiste). Ce signe désigne l’inconduite d’une jeune fille qui ne suit pas le droit chemin, à savoir le comportement exemplaire attendu par la société. Cette illustration invite à éviter des conduites marginales.
Ce motif a une vertu protectrice, ce qui signifie qu’il a un pouvoir qui puise sa force dans les tréfonds du patrimoine culturel.
L’indigo
Le nom indigo vient du latin indicum qui veut dire Inde. Il s’agit d’une nuance de bleu foncé, une couleur mal définie entre le bleu et le violet.
À l’instar des autres continents, l’Afrique possède des végétaux sources d’indigo; les principaux sont l’Indigofera arrecta et le Lonchocarpus cyanescens. Il s’agit de deux espèces parmi les plus productives du monde. L’Indigofera arrecta vient des régions arides subsahariennes et le Lonchocarpus cyanescens des zones de savanes et de forêt. « Les grandes traditions s’inscrivent toutes dans l’histoire complexe et mouvementée du continent. Depuis l’Inde lointaine, en passant par l’Égypte, la Nubie et l’Abyssinie, les grandes routes commerciales antiques ont importé en Afrique leurs lots de techniques et de plantes à indigo », affirme Christine Bouilloc.
Plusieurs techniques sont utilisées pour réaliser la teinture à l’indigo :
-l’ikat : lkat veut dire « lien » et vient du verbe malais « mengika », c’est-à-dire nouer, lier, entourer. Les réserves se traduisent par une ligature des fils qui sont teints à la réserve avant d’être tissés. Pendant le tissage, le tisserand introduit des motifs grâce à une séparation des fils de chaîne par de petites baguettes.
-le plangi : ce terme vient du malais et signifie « coloré » ou « ligature » en indonésien. Le procédé consiste à prendre une partie du tissu, à l’étirer entre le pouce et l’index afin d’obtenir un cône plus ou moins grand; ensuite, il faut le ligaturer à sa base avec un fil de coton ou un brin de raphia. On peut y introduire des coquillages, des cailloux, des grains de coton ou de mil. Ceci permet d’obtenir après la teinture et l’enlèvement de la ligature, des figures en forme de disque, d’anneaux ou de losanges (Musée du tapis et des arts textiles de Clermont-Ferrand – Site Bargoin, 2006).
-le tritik : il consiste à utiliser des points de couture (surjet, zigzag, point devant) de manière à empêcher la couleur d’y pénétrer. Cette technique se décline en une infinité de variations. Ces coutures se font à la main ou à la machine et leurs traces restent facilement identifiables une fois les tissus teints. Les Yoruba du Nigéria le pratiquent de façon remarquable.
-les réserves brodées : elles s’obtiennent par points de broderie; il s’agit de pincer et de recouvrir le tissu par un point roulé très serré de façon à donner un relief très marqué au tissu. Ce point est toutefois utilisé pour un nombre limité de motifs comme les étoiles, les croix, les bâtonnets. Quant au point devant, il sert comme réserve pour faire des motifs inspirés des dessins tissés.
-le batik : ce terme très connu désigne une technique d’origine javanaise. La particularité du batik réside dans le fait que les réserves sont exécutées à base de pâte de riz ou de manioc ou encore, depuis quelque temps, de cire. C’est cette pâte qui va « réserver le motif ». Les motifs sont réalisés par impression au moyen de tampons ou par usage de pâte avec des plumes ou des pochoirs ; il est aussi possible de les dessiner directement sur le tissu. Cette technique est encore très répandue en Afrique de l’Ouest.
Tout comme pour le bògòlan, les motifs représentés sont inspirés de la cosmogonie des différentes communautés ouest-africaines.
Hormis les fortes valeurs identitaires et patrimoniales que revêtent ces tissus, leur production sous-tend également des enjeux socioéconomiques dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.
Les artisans qui les fabriquent forment un groupe professionnel reconnu dans la société, que ce soit dans les villages ou dans les villes. Certains se regroupent même en coopérative afin de mieux défendre leurs intérêts et de tirer un meilleur profit de leur activité. En outre, il s’agit d’une filière qui joue un rôle économique dans la société, car les produits sont vendus et participent à un circuit économique qui a des ramifications jusque dans le secteur touristique.
M.A.