“Avotita” ou la toile appliquée chez les Fon : un art multifonctionnel

« Avotita » est l’art de la toile appliquée encore appelée la tenture. Il s’agit d’une production de la culture matérielle des Fon, un groupe socioculturel de la région méridionale du Bénin, pays de l’Afrique de l’Ouest. Les Fon sont les descendants du puissant royaume de Dànxòmέ (prononcer Danhomin) qui s’est développé dans cette partie de l’Afrique principalement entre le xviie et la fin du xixe siècle ayant pour capitale Abomey.

« Avotita » serait un produit culturel d’emprunt chez les Fon. Dans cette hypothèse, son apparition à Abomey serait liée aux différents contacts avec l’étranger ainsi qu’au caractère expansionniste et assimilateur du royaume de Dànxòmέ qui avait tendance à s’approprier les modèles culturels des communautés conquises qu’il juge utiles pour son propre rayonnement culturel.

Historique

La date d’apparition de la toile appliquée chez les Fon reste imprécise, certaines sources historiques la situant sous le règne du roi Agadja (1685 -1708) et d’autres sous celui du roi Agonglo (1789 -1797). Cependant, le « avotita » a connu un essor certain grâce au roi Agonglo, connu pour son goût prononcé pour l’esthétique et l’art du tissage en particulier. Rêvant d’ajouter des talents d’artistes aux prouesses guerrières du royaume de Dànxòmέ, ce souverain créa les conditions favorables à la promotion de la création artisanale et artistique à Abomey.

Description

L’art du « avotita » consiste en l’application d’une série de motifs ou dessins-images (pictogrammes ou iconogrammes) sur des supports textiles (étoffe, tissu, toile, etc.). L’agencement des iconogrammes vise à produire un effet purement esthétique ou à élaborer un message. Les dessins-pictogrammes utilisés sont figuratifs par nature, mais ils peuvent également présenter une forme de réalisme esthétique. Les motifs représentent en général des hommes, des femmes, des animaux, des arbres, des fleurs et des objets de natures diverses. Ils font ainsi référence aux règnes humain, animal et végétal.

Le message du « avotita » est souvent allégorique, c’est-à-dire une représentation imagée d’idées ou de discours métaphoriques. Les emblèmes ou armoiries des rois du Dànxòmέ. traités dans le « avotita » et portant pour la plupart sur les notions de défi et de puissance, constituent une parfaite illustration de cette démarche allégorique. D’un point de vue sémiologique, le message du « avotita » est basé sur une syntaxe mixte. Autrement dit, la lecture des iconogrammes peut s’effectuer de façon verticale ou horizontale. Elle est facilitée par la pertinence de l’ordre des motifs-dessins, c’est-à-dire leur position les uns par rapport aux autres. Toutefois, cet ordre n’est pas systématiquement pertinent ou logique, comme en témoignent certaines pièces de tenture illustrant des scènes de guerre, sur lesquelles l’agencement des motifs ne semble pas basé sur une cohérence interne.

Technique de fabrication

La toile appliquée chez les Fon est réalisée sur la base du patchwork, une technique de couture qui consiste à assembler plusieurs morceaux de tissus de tailles, formes et couleurs différentes pour réaliser différents types d’ouvrages. Mais à l’origine, le “avotita” était fabriqué à partir de feuilles ou fleurs séchées, recousues sur une bande de raphia tressé, à l’aide d’une brindille servant d’aiguille et d’une fibre de raphia en guise de fil.

Typologie

En fonction des différents usages, il est possible de classer la toile appliquée chez les Fon en sept (7) catégories : (i) la tenture originelle, (ii) le « avotita » royal (réalisation d’iconogrammes sur des tenues et accessoires d’apparat royal notamment le parasol, l’ombrelle, le hamac, le couvre-chef, etc.), (iii) la tenture carte topographique (représentation schématique sur tissu des lieux stratégiques de l’ennemi servant de plan d’attaque pour les généraux du royaume de Dànxòmέ), (iv) la tenture-message, (v) la tenture-histoire (illustration de hauts faits historiques, de scènes de guerre, de razzia ainsi que de personnages légendaires ou mythiques), (vi) la tenture-décoration et (vii) la tenture-illustration.

Fonction

Les usages du « avotita » chez les Fon permettent de dégager six (6) principales fonctions que cet art contribue à remplir.

La fonction esthétique consiste à exprimer le beau d’une manière originale. Le « avotita » est une œuvre de création dans laquelle la fertilité de l’imagination et l’ingéniosité de l’esprit trouvent un espace d’expression permettant à l’artiste-artisan de « dessiner » son environnement physique, socioculturel ou symbolique.

L’art du « avotita » s’inscrit dans la logique de ce que le Révérend Père Engelbert Mveng nomme la « loi universelle de création esthétique négro-africaine» (Mveng, 1980 : p.34).

La fonction politique : le « avotita » constitue un support d’intermédiation de la communication politique du roi, principalement à travers ses vêtements d’apparat et les messages que véhiculent les iconogrammes qui y sont appliqués. Le roi étant un personnage hors du commun est paré des plus belles tenues, réalisées par les spécialistes les plus talentueux. Une telle démonstration esthétique est destinée à renforcer dans la conscience collective, l’idée que le roi constitue l’autorité suprême, à qui appartiennent tous les biens et trésors. L’autorité royale se trouve ainsi consolidée et légitimée à chaque sortie officielle. L’esthétique des vêtements d’apparat du roi a également pour effet psychologique de renforcer auprès du peuple le sentiment nationaliste et d’appartenance à un État puissant et prospère. Comme le souligne C. Paulis, « le vêtement est un moyen de communication active. Il rend possible le passage d’un message de soi à autrui par un système de connaissance complice » (Paulis in SFEZ et al., 1993 : p. 452).

La fonction cathartique : la catharsisestle mécanisme par lequel une pratique sociale, culturelle ou religieuse conduit à l’apaisement d’une tension au niveau de la communauté ou au niveau des individus. La fonction cathartique de l’art appliqué découle plus ou moins de sa fonction politique. Elle se traduit par le procédé par lequel le roi adresse des messages d’apaisement à ses adversaires d’une façon détournée et imagée, par le truchement de ses emblèmes ou les iconogrammes dessinés sur ses habits d’apparat.

La fonction laudative et/ou pédagogique : les iconogrammes du « avotita » relatifs aux emblèmes royaux et aux représentations de figures mythiques ou légendaires du royaume permettent une légitimation du pouvoir royal par le rappel constant des hauts faits historiques, des devises, des promesses et l’idéologie que renferme chacun de ces emblèmes. Le peuple est ainsi amené à toujours magnifier la grandeur et la puissance des rois, les prouesses accomplies par des soldats qui se sont particulièrement illustrés à la guerre par leur courage et leur bravoure ainsi que la force protectrice des dieux et autres figures mythiques représentées dans les toiles appliquées. La fonction laudative du « avotita » se double ainsi de celle pédagogique, car il s’agit de signifier le courage et la bravoure pour susciter l’admiration et l’envie d’égaler le modèle.

La fonction sociale : grâce à sa faculté de véhiculer des messages allégoriques, le « avotita » sert de support d’intermédiation sociale dans des situations de communication où les acteurs impliqués choisissent de se parler de façon détournée et imagée. Les domaines où s’observe le plus la tenture-message sont ceux de la rivalité, de la sagesse et surtout du langage amoureux. Ce dernier est le domaine par excellence où le langage est poétique, donc figuré.

La fonction militaire : elle est associée au type spécifique de « avotita » dénommé la tenture carte topographique. Son usage comme instrument de repérage topographique et support de plan d’attaque des zones ennemies traduit son importance dans la stratégie militaire de l’armée de Dànxòmέ.

Commentaires sur le sujet

Le « avotita » est plus qu’un simple objet d’art. Ses usages et fonctions liés à la diversité de ses types débordent sa dimension purement esthétique et le révèlent comme un média, c’est-à-dire un support de communication.

En outre, l’art du « avotita » basé sur des dessins-pictogrammes apparaît comme une écriture pictographique, symbolique et signifiante. Il s’avère ainsi un moyen mnémotechnique pour contourner la fugacité de la parole, fixer et conserver dans le temps des faits et idées dans une civilisation de l’oralité. Georges Jean écrit à cet effet que « le signe-image, comme le signe-écriture, possède initialement des qualités de conservation et de transmission » (Jean, 1989 : p.106).

Par ailleurs, l’art du « avotita » chez les Fon peut s’apprécier dans une double perspective patrimoniale, à la fois tangible et intangible. Il est un patrimoine tangible par sa matérialité ainsi que sa faculté à produire et à conserver des messages et idées dans le temps, établissant ainsi le pont entre le passé et le présent. Le « avotita » s’inscrit également dans la dimension intangible du patrimoine dans la mesure où ses différents usages et fonctions ainsi que le décryptage de ses messages renvoient à l’univers culturel immatériel des Fon. Il est comme une porte ouverte sur la culture des Fon, dans ce qu’elle a de plus abstrait et profond, ses croyances, représentations collectives, normes et valeurs.

La sauvegarde et la promotion du « avotita » sont essentielles pour préserver cet art multifonctionnel qui constitue un patrimoine original et riche chez les Fon.

N.B.: Cet article a été rédigé sur la base de travaux d’une recherche académique. Voir METOGNON Epiphane Serge Marc-Aurèl, Valeurs communicationnelles du Avotita, tenture Fon. Essai d’anthropologie de la communication, Mémoire de Maîtrise de sociologie-anthropologie, Université Nationale du Bénin, 2000.

Épiphane Serge Metognon